5 scènes Portneuvoises
qui me parlent
C'est dans cette Vallée du Bras du Nord,
à mon adolescence,
que j'ai eu la piqûre pour la photographie de paysages
Ces textes témoignent de la beauté des paysages,
de leur contribution à notre bien-être et de l’inspiration qu’ils ont provoquée en moi.
J’espère que les histoires derrière ces photographies
seront également sources d’émotions en vous.
Merci de m’accompagner sur cette route magnifique !
Certaines scènes évoquent en nous des émotions que les mots ne peuvent parfois évoquer. Je suis convaincu que vous êtes familier avec l’expression “une image vaut mille mots” et cela n’est jamais aussi vrai que pour les œuvres que vous choisissez d’afficher sur les murs de votre résidence ou de votre bureau.
Peu importe le type de photographie que vous affectionnez, votre choix ne se fait pas au hasard ni ne s’arrête sur la première œuvre que vous trouvez. Vous attribuez une valeur sentimentale à une photographie? Vous ressentez une connexion particulière avec un paysage? Vous savez probablement que ce sentiment est encore plus fort lorsque l’on connaît la vision de l’artiste qui l’a créée, voire lorsque l’on a déjà rencontré l’artiste.
Dans ce billet, je veux justement partager avec vous ma vision pour cinq photographies prises dans ma région Portneuvoise. De Neuville où je réside, en passant par Pont-Rouge (lieu de naissance de ma mère) et Saint-Raymond (mon lieu de naissance et celui de mon frère) jusqu’à Saint-Léonard (lieu de naissance de mon père), certaines scènes sont incrustées en moi. Par ces photographies, je cherche à transmettre une vision unique de ces lieux, soit par la lumière ou par une perspective inédite qui m’a inspiré.
Il y a beaucoup plus dans une photographie que ce que l’on voit en surface. Avec ces cinq œuvres, je partage avec vous leur histoire cachée et les raisons pour lesquelles je les ai créées. Vous y trouverez un peu de moi et de ce qui a façonné mon histoire.
J’espère que vous apprécierez ces textes autant que j’ai eu de plaisir à les préparer pour vous.
Pont de pierre, de lumière, d’eau et de vie
Ce pont de pierre m’attendait depuis ma tendre enfance. Chaque année, mes parents nous amenaient sillonner la route vers Rivière-à-Pierre afin d’admirer les couleurs de l’automne. Ce pèlerinage, je le fais encore avec ma famille. Une fois passé Saint-Léonard, village natal de mon père, nous arrivons à la Halte du Pont-de-Pierre, arrêt obligatoire dans notre périple automnal. Cette halte nous attend paisiblement avec son air de fraîcheur et sa montagne aux couleurs éclatantes juste devant, riche comme un morceau de velours sous le soleil. Et là, il y a ce pont de granit percé par l’eau au fil des millénaires. On y arrête pour se reposer, cueillir les feuilles, traverser le pont, marcher en forêt, pique-niquer ou simplement sentir l’odeur de l’automne en écoutant le ruissellement de l’eau.
Cela faisait plusieurs années que je voulais réaliser une photographie différente de cet endroit. Habituellement, je photographiais le pont de face avec le ruisseau qui passe en son ventre. J’en ai réussi de très belles qui ont même été publiées dans des livres, mais je savais que je pouvais faire mieux pour communiquer les émotions que je ressens face à cette œuvre de la nature. Mon défi était de recréer l’émerveillement ressenti à l’âge de 6 ans lors d’une visite avec mon père, émerveillement qui m’avait inspiré lorsque la maîtresse de 1ère année nous avait demandé de dessiner ce qu’on avait aimé le plus de notre été. J’espérais donc revivre, avec ma photographie, cet émerveillement enfantin où le pont me semblait si gros, l’endroit si coloré et le courant si fort. Mais voilà, comment m’y prendre? J’avais déjà essayé!
Un bon jour d’automne, je dis à ma conjointe “On y va, j’ai une idée!”. Rendu sur les lieux, j’enfile mes bottes, prépare mon équipement et avance dans l’eau. Le fond était couvert de mousse glissante. J’avançais lentement, cherchant un angle privilégié. Après différents essais, je me déplaçai presque sous le pont pour aller chercher la lumière du soleil baissant jaillissant par derrière. Je pouvais alors combiner lumière, eau, terre et plantes, une sorte de genèse de la vie. Je misai sur les contrastes “lumière-ombres”, “gris-couleurs”, et “dureté-fluidité” pour construire ma composition. Je trouvai une façon de faire ressortir la cascade, symbolisant l’écoulement rapide du temps présent ainsi que la stabilité du roc représentant plutôt la résistance au temps… et tout ceci avec la lumière de vie émergeant du cœur du Pont de Pierre! À ce moment-là, je sus que j’avais enfin retrouvé mon émerveillement même si j’étais presque 10 fois plus vieux.
Nature paradoxale
Avec une marée de cinq mètres et un hiver créant des glaces jusqu’à deux mètres d’épaisseur, le fleuve Saint-Laurent laisse ses traces devant mon village. Les galets de Neuville y sont sculptés et découpés depuis des milliers d’années. Ils témoignent de la force du temps et d’une activité qui remonte dans un passé lointain, vraiment très lointain. Ils ont vu passer des créatures aujourd’hui disparues, les premiers amérindiens et même Jacques-Cartier. Ils ont vécu la dernière bataille navale après la chute de la Nouvelle-France aux Anglais. Aujourd’hui, ils regardent plutôt passer les voiliers, les bateaux de plaisance ou de pêche ainsi que les immenses bateaux de croisières. Parfois, ils nous dévoilent quelques fossiles en héritage tout en exhibant leur visage familier mais craquelé, un peu comme une arrière-grand-mère qui se veut rassurante tout en témoignant malgré elle d’un long passé.
La nature est ainsi, paradoxale, dévoilant deux fois par jour le passé à celui qui sait observer, dénudant parfois ses formes rugueuses dans une eau lisse comme un miroir lors de l’étale à marée basse. On y voit s’écouler les heures à chaque marée et le quotidien à chaque coucher de soleil tout en étant témoin sous nos pieds de la présente époque géologique et en ressentant la chaleur de cette boule de feu qui va se noyer à l’horizon.
J’ai voulu représenter ces paradoxes imaginaires en me rapprochant à quelques centimètres du galet, comme pour mieux sentir sa personnalité. J’ai choisi une fracture abrupte, falaise fictive créée par une secousse importante dans le temps et qui est bien plus résistante que les soupçons de vie installés dans les replis en surface. L’opposition des couleurs chaleureuses et froides, tout comme l’opposition entre la lumière et l’ombre ajoutent au paradoxe de façon temporaire, jusqu’au prochain cycle. Les reflets du ciel sur la mince couche de vase humide couvrant les galets témoignent de l’harmonie qui existe malgré tout dans mon paradoxe utopique. La nature est ainsi, alliant force et calme, rugosité et douceur, lumière et ombre, horizon et verticalité, cycles courts et cycles longs, solidité et fluidité, mouvement et inertie, et ainsi de suite.
Premières neiges sur la vallée
C’était en novembre. Les premières neiges tombaient sur Saint-Raymond. J’étais seul, en quête d’images de cette merveilleuse Vallée du Bras du Nord, affluent de la Rivière Sainte-Anne qui a marqué ma jeunesse et la vie de mes parents. Cette vallée aux caps abrupts est également appelée “Petit Saguenay”, en référence au Fjord du Saguenay auquel ressemble la Vallée.
En circulant sur le rang de ce dit nom, on voit les fermes des premiers colons avec leurs clôtures, des granges et des hangars, des maisons québécoises et surtout la petite chapelle qui offre un spectacle unique rappelant l’époque de la colonisation et l’isolement de la région.
On y perçoit les premiers sommets de plus de 700 mètres avec leurs falaises de plus en plus abruptes. Et puis, la fameuse Chûte Delanay qui cascade abruptement sur plus de 150 mètres (https://www.youtube.com/watch?v=xwIjatxibdM). Lieu de plein-air par excellence, c’était plutôt tranquille cette journée-là.
Ce rang est rempli de souvenirs pour moi. Il fut la source d’un vrai émerveillement quant à la beauté de la nature Portneuvoise. Ce sont ces montagnes et leurs parois qui m’ont donné le goût à la photographie paysagère. Au tout début, c’était avec un appareil de poche, mais dès que j’ai pu me payer un “vrai” appareil photographique 35mm, à l’âge de 17 ans, c’est le rang Petit Saguenay qui me faisait rêver de scènes magnifiques.
Ce jour-là, il faisait froid, l’eau avait commencé à geler, la neige qui tombait légèrement recouvrait déjà le sol mais les mélèzes n’avaient pas encore perdu leurs aiguilles. Leur couleur jaune se détachait de la blancheur du sol et de la grisaille des montagnes à peine visibles derrière le rideau de neige. Encore une fois, je vivais un moment de grand émerveillement. La nature était dans ses différents états, à la fois liquide, végétale et solide, à la fois chaleureuse et froide, puis à la fois nette et voilée. Un drôle de sentiment m’envahissait face à cet automne coloré qui nous quittait et à cet hiver de pureté qui arrivait. Dans quelques jours, le jaune aura fait place au gris et au blanc, mais il en ressortira un sentiment de paix, d’harmonie. En attendant, je vis pleinement cette phase de transition de la nature.
Glaçage sur la rivière
Il y a de ces scènes qui vous transportent dans un autre monde.
C’est exactement ce que je ressens à ce rétrécissement de la Rivière Jacques-Cartier à Pont-Rouge. Témoin indéniable de la notion de bassin versant, l’eau s’y écoulant laisse sa trace de toute ses sources. Les durs contrastes de lumière entre les parois sombres et la neige éblouissante nous frappent de plein fouet. Les bleus intenses des glaçons qui reflètent la lumière du ciel y sont parfois confrontés aux jaunes de sources minérales. Le lit de la rivière lutte pour ne pas disparaître sous le couvert de glace. Et puis, l’horizontalité des couches de galets tranche avec la verticalité des glaçons couvrant les parois. Scène de contrastes, à la fois magnifique et déroutante.
N’est-ce pas là un mélange de sentiments bizarres? L’eau douce qui lutte avec elle-même sous sa forme de glacée. L’éphémérité de la verticalité qui recouvre l’horizontalité éternelle. Les éclats de couleur qui se distinguent entre le noir et le blanc. Et que dire de ces formes indescriptibles qui sillonnent cette rivière. Je n’y suis pas habitué, je me sens dans un autre monde.
Pluie hivernale
« Elle regarda la toile et des larmes se mirent à couler ». Lors de cette situation vécue en galerie d’art, la dame me dit à quel point cette scène était « son chez-elle, son Québec, et que ça venait la chercher au plus profond d’elle-même ». En fait, elle ressentait la même chose que moi.
Tellement Neuvilloise, cette scène est également très Québécoise. Le fleuve Saint-Laurent, dans son habit d’hiver, qui peine à laisser passer les navires. Cette pluie inhabituelle qui transforme nos arbres en sculptures de crystal qui se tiennent fièrement debout comme nos ancêtres et leurs hôtes amérindiens. L’autre rive, qui semble si loin, mais que l’on peut presque rejoindre. Ce ciel grisonnant, trop chaud pour la période, qui nous ramène les deux pieds sur neige. Cette ambiance humide et froide, annonciatrice de la prochaine bataille entre deux saisons. Cette quasi-monochromie qui va finir par se colorer. Et enfin, de douces pentes avec quelques escarpements témoignant d’approches différentes vers un même but. “Mon pays c’est l’hiver” chantait Gilles Vigneault. Eh bien, cette scène, c’est l’image de mon pays dans le plus profond de moi-même.